Comme tous les ans depuis 2018, l’association Aux Portes de l’Imaginaire intervient dans le cadre du Cabaret Vert BD pour faire découvrir le jeu de rôle aux festivaliers. Cette activité très singulière dans un salon de bande dessinée, prenant lui-même place dans un festival musical d’été, remporte un fort succès depuis la première année.
C’est l’occasion, suite à l’édition 2023, de vous proposer un retour d’expérience si jamais vous voulez, avec votre association, tenter l’expérience de la découverte de notre loisir au-delà des salons et des festivals pour rôlistes.
Le Cab’
Le Cabaret Vert est un festival musical d’été créé en 2005. Il compte aujourd’hui plus de 100.000 festivaliers étalés sur les 5 jours de concerts. Outre la musique, ce festival propose des activités très éclectiques, notamment autour du développement durable, des arts de rue, du cinéma et de la bande dessinée.
Le salon BD du Cabaret Vert est une institution puisqu’il comptait pour l’édition 2023 plus de 80 auteurs invités avec des noms prestigieux tels que Régis Loisel (La Quête de l’Oiseau du Temps, Peter Pan…), Crisse (L’Épée de Cristal) et bien d’autres, venant parfois d’outre-atlantique comme Charlie Adlard, le dessinateur du comics The Walking Dead.
- Le site officiel du Cabaret Vert : https://cabaretvert.com
Les rôlistes ? C’est des gars qui se prennent pour des nains et des elfes ?
Animant depuis septembre 2016 du jeu de rôle à la médiathèque Voyelles (Charleville Mézières), c’est à l’occasion de nos animations au Salon des Littératures Maudites que nous avons eu l’occasion de croiser le responsable de la programmation du salon BD du Cabaret Vert, Laurent Quesada. Nous avons pu le convaincre de l’intérêt de proposer du jeu de rôle pour prolonger l’expérience de certains univers de BD présentés sur le salon. Si les clichés sont tenaces sur les rôlistes (parties longues, jeux trop compliqués, peu d’intérêt pour le public), nous avons eu l’occasion de passer outre et d’intervenir pour une première lors de l’édition 2018.
Du jeu de rôle dans un festival de musique ? Ça marchera jamais…
Si les représentations sur les rôlistes sont tenaces chez le grand public, des représentations erronées sur le grand public existent aussi chez les rôlistes.
Cette rengaine, nous l’entendions déjà de beaucoup de nos pairs lorsque nous avons commencé à intervenir dans des salons « geeks généralistes » comme le Carolo Game Show ou encore le Game’in Reims dès 2017. En gros, parole de vrais rôlistes : le jeu de rôle, ça n’intéresse pas le grand public.
Certes.
Oui, il est vrai que faire jouer une partie de 6h dans un salon dont la plage d’ouverture est de 10h relève de l’impensable…
Oui, le grand public vient principalement pour le jeu vidéo, le manga et le cosplay…
Oui, nous sommes d’accord qu’il est impossible de créer des personnages avec des joueurs débutants et d’enchaîner sur une partie ensuite.
Mais, est-ce nécessaire de se plonger dans une partie « classique », genre la partie du samedi soir, qui va couvrir de façon exhaustive un jeu ? Dans ce cadre ? Non.
Très rapidement, dans la plupart de nos animations, nous avons fait le choix de limiter la durée des parties à deux heures. De l’utilisation de personnages prétirés aux scénarios calibrés pour une découverte, de la réduction des temps morts aux explications au fur et à mesure des règles, toutes ces techniques ont permis de faire prendre la sauce. La recette a marché, puisque nous avons l’habitude de voir défiler des joueurs et joueuses lors de nos animations grand public.
Mais, comparer un salon « geek généraliste » avec un festival de musique n’est pas très juste. Dans le premier cas, si nous ne nous adressons pas uniquement à des rôlistes, il faut reconnaitre y a quand même un terrain commun : jeu vidéo, culture de l’imaginaire, manga… autant de levier pour donner l’envie à des curieuses et curieux de s’installer pour un maximum de deux heures de partie et faire une première expérience du jeu de rôle sur table. Là, nous ne nous adressons pas forcément à des personnes qui partagent cette culture, voir, simplement, qui sont surtout venues là pour les concerts sans savoir qu’il y avait d’autres activités autour.
Un premier chiffre à garder en tête : 200 joueurs et joueuses lors des 2 journées du Game’in Reims 2022 sur 8 tables en simultanées.
Finalement, ça marche… à fond
Au final, est-ce intéressant pour une association rôliste de perdre quatre journées, sans compter le temps de préparation, à faire découvrir un loisir à un public qu’on estimerait de prime abord pas trop réceptif ?
Oui, là, tu penses simplement que, bah, c’est pour profiter à l’œil d’un festival de musique et de ses concerts… Même pas. Sur l’ensemble de la programmation ces dernières années, on arrive à compter sur les doigts d’une main d’un personnage des Simpson les concerts qui nous branchent. Clairement, on n’y va pas pour ça. Ok, il y avait les Pixies l’an dernier, Prophets of Rage en 2019, Dropkick Murphys cette année… mais sur un total d’une cinquantaine d’artistes en moyenne, notre temps est d’abord consacré à l’animation des parties et aux renseignements des joueurs.
Au bon moment, au bon endroit
Ne pas négliger la période, elle est propice ! Nous sommes franchement dans une période propice :
- la culture pop fait de plus en plus référence au jeu de rôle : de Stranger Things à iZombie, le jeu de rôle y est souvent représenté comme un truc cool, social et haletant proposant de belles soirées entre amis autour d’un défi commun.
- la culture de l’imaginaire s’est fortement installée au cinéma, par les trouze-milles films de superhéros Marvel, mais surtout, récemment avec la sortie de Dungeons & Dragons : l’honneur des voleurs qui est une locomotive pour le jeu de rôle… c’est même plus une locomotive à vapeur mais carrément un TGV lancé à pleine vitesse !
- la crise sanitaire que nous avons travers a été un moment où beaucoup de monde a découvert le jeu de rôle en ligne et cherche maintenant à l’expérimenter sur table.
Doit-on ajouter aussi que c’est une activité réellement socialisante et que le grand public l’a bien identifié.
Par contre, l’accessibilité reste le point noir du jeu de rôle :
- il faut trouver un groupe de joueurs et joueuses qui acceptent l’intégration de néophytes le temps d’une partie (souvent trop longue et, soyons honnête, inaccessible)
- il faut trouver le temps de s’installer et de profiter de cette première partie.
Justement, un festival tel que le Cabaret Vert est une excellente occasion de rencontrer un public large qui régulièrement cherche un temps calme, loin du bruit et de la fureur des concerts, pour profiter d’un moment reposant entre amies. Alors, pourquoi ne pas profiter d’un jeu de rôle pendant cette pause sonore ?
Des jeux rapides, des jeux plus longs… peu importe !
La diversité est importante. Il faut prévoir autant des parties très courtes qui ne mobiliseront pas les joueurs et joueuses trop longtemps (30 minutes), mais aussi des parties plus longues pour celles et ceux qui veulent vraiment profiter de l’expérience et de l’occasion pour découvrir un nouveau jeu ou prolonger une première expérience.
Ça peut paraître étrange, mais sur un salon ouvert de 15h à 3h du matin, « sacrifier » deux heures pour jouer est loin d’être hors de portée des festivaliers. Comment occuper un temps mort entre deux concerts qu’on veut voir ? Venez jouer !
La diversité des durées permet à chacune et chacun de pouvoir trouver un jeu qui pourra leur convenir sur leur temps disponible.
Restent les bénévoles du festival qui souvent souhaiteraient profiter de l’occasion pour s’essayer aux jeux de rôle, mais qui sont souvent pris par leurs activités pour le festival pendant les animations… mais, on trouve quand même des solutions pour proposer de jouer, soit avant l’ouverture au public, soit le soir après la fermeture des animations dans les espaces de repos des bénévoles.
Des thématiques accrocheuses
Il faut aussi accrocher le public avec des thèmes qui leur sont proches et qui leur seront accessibles. Encore une fois, le fait de disposer dans ce festival d’un salon BD est une chance inouïe : nous faisons le focus sur une thématique ou directement un jeu inspiré d’une bande dessinée mise à l’honneur. Sur ce domaine, il commence à y avoir l’embarras du choix. Depuis les adaptations rôlistiques des Terres d’Arran (notamment les boîtes Elfes et Nains) jusqu’à Valérian, la sélection commence à être suffisamment large.
Là, on est d’accord : on appâte directement le fan de la bande dessinée présent… mais en réalité, pas tant. Nous comptons finalement très peu de festivaliers purement BD venant pour obtenir une dédicace de leurs auteurs favoris s’installer pour jouer aux jeux inspirés de leur BD favorite. La cause est très simple : ne pas perdre sa place dans la file d’attente des dédicaces !
A côté, il faut aussi penser à proposer des jeux simples aux univers accrocheurs. Ils peuvent aussi être de belles opportunités pour décider les festivaliers : Sombre et ses parties horrifiques en moins de 30 minutes (j’ai une préférence pour le scénario Les Grimmies), mais aussi D-Start pour un public de tout âge, ou encore, testé ces années avec un impressionnant succès, Critical : Fondation.
Côté diversité, il faut ne pas perdre non plus de vue qu’un tel festival est très familial en journée… il n’est pas rare d’avoir de jeunes enfants qui viennent jouer avec leurs parents. Encore une fois, D-Start est un incontournable.
Renseigner, expliquer, proposer… sans insister
Les vieux clichés sont tenaces : les longues parties, trop complexes, « on comprend rien »… il ne faut donc pas hésiter à expliquer le plus simplement possible comment se déroule une partie. Et, potentiellement, il y en aura toujours une qui se jouera à côté.
Là, il faut prévoir quelques bénévoles au discours bien rodé pour l’accueil des visiteurs.
Nous dédramatisons le tout, rapidement. Nous rappelons que nos parties sont accessibles aux débutants et débutantes, qu’elles sont courtes et adaptées à une première découverte du loisir.
Les inquiétudes habituelles restent le manque d’imagination et la méconnaissance des règles. Mais nous rappelons simplement à ces moments que, tout ceci, c’est le MJ qui est concerné et que pour tous les autres, il n’y a qu’à s’installer, intervenir quand on le souhaite et, surtout, profiter de l’histoire.
La durée n’est pas un frein
Si pour un roliste, deux heures de jeu semblent un temps trop court, pour le grand public, ça reste très long. Nous abordons le sujet comme pour un épisode de série télé. Enfin, surtout, sur les tendances au Binge-Watching que nous imposent les plateformes de diffusion actuelles. L’argument de base : quand vous regardez plusieurs épisodes de votre série préférée à la suite, avez-vous la sensation du temps qui passe ? Avec le jeu de rôle, c’est pareil. À table, lorsque les joueurs et joueuses sont investies dans l’histoire, le temps passe différemment et une heure ou deux, c’est très court.
Et donc, tout l’enjeu est là : être immersif. Pour cela, il suffit de proposer des scènes haletantes, d’éviter les temps morts où il ne se passe rien d’intéressant dans l’histoire et de conserver l’attention des participants et des participantes tout au long de la partie.
Par contre, s’il y a des contraintes temporelles à prendre en compte, nous gérons l’ensemble avant le début de la partie. Avant de démarrer, nous essayons d’être les plus transparents sur la durée, voire, nous expliquons que la partie pourra être quittée à tout moment. Une solution simple, nous demandons à chacun et chacune si des concerts sont prévus et à quelles heures. Il suffit de se mettre un petit rappel 30 minutes avant et les prévenir, voire, écourter la partie pour tenir dans le créneau attendu par la table.
Pour la blague, je ne compte plus le nombre de festivaliers depuis 2018 qui nous disent qu’ils sont venus pour voir le concert de bidule… et qui, quand on leur rappelle que leur concert débute dans 30 minutes nous répondent : « non, là, on veut finir la partie !!! ». Bon, généralement, les grosses têtes d’affiches jouent le soir et nos parties s’arrêtent avant, il y a très peu de chance de priver un festivalier d’un concert qu’il souhaitait voir coûte que coûte ! Oui, pas de partie lors des créneaux des têtes d’affiches, sinon, il n’y aura personne… sauf si d’autres animations tournent déjà à ces moments.
Des vagues et des groupes
Nous avons abandonné depuis 2022 la mise en place d’un planning de parties. C’est totalement inadapté à ce genre d’événement. Les joueurs et joueuses arrivent en groupe généralement, il n’est pas rare qu’un seul groupe occupe une table. Nous gérons donc les parties « à la demande » quand des groupes arrivent et sont intéressés par un jeu pouvant être animé par un MJ disponible.
De même, les groupes arrivent par vagues : une fin de concert, l’ouverture des portes, un événement qui va débuter à côté ou qui vient de se clôturer. Si certains moments peuvent être longs sans aucun visiteur (et encore, rarement plus de 30 minutes), les tables se remplissent ensuite, très rapidement, lorsqu’une vague arrive. Il faut être en capacité de les accueillir, les renseigner et pouvoir estimer quand une partie pourra être à nouveau jouée si toutes les tables sont occupées. L’intérêt d’avoir des jeux courts en parallèle aux formats de 2h, les temps d’attentes pour un groupe qui débarque, alors que toutes les parties sont lancées, sera très court.
Maintenant, nous arrivons à donner un horaire; plusieurs MJ connaissent les jeux et les parties jouées, il est possible de se situer rapidement dans le temps. Et si, les potentiels futurs rôlistes, ayant quittés le stand, ne revenaient pas le lendemain ? Pas d’inquiétude, généralement, ils reviennent comme convenu !
Et donc, en 2023, quels résultats ?
Avec nos deux tables et cinq bénévoles, sur les quatre jours de festival, nous avons fait jouer 84 personnes. A cela, il faut aussi ajouter dix jeunes joueurs qui ont participé à un événement à la médiathèque en lien avec le festival, et une partie mémorable de Donjons et Siphons, dans un espace réservé aux bénévoles, à l’attention d’un petit groupe d’une dizaine d’entre eux qui n’avaient pas l’occasion de venir jouer en journée.
Sur ce nombre, nous sommes presque sûrs de retrouver la plupart des personnes du coin lors de nos animations régulières… mais aussi, et surtout, nous avons peut être transmis la flamme du jeu de rôle à une petite vingtaine de futurs rôlistes. Comment peut-on penser ça ? Nous les avons revu chaque jour pour tester un nouveau jeu !
Pas du coin ? Les personnes souhaitent poursuivre l’expérience du jeu de rôle dans d’autres conditions ? Vous vous souvenez que le GPSRôliste existe non ? (Et en plus, c’est nous qu’on l’héberge)
Historique de Aux Portes de l’Imaginaire au Cab’
- 2018 : une table sur MoldUS avec un scénario durant la première guerre mondiale (thème du salon, pour le centenaire de l’armistice de la guerre 14-18)
- 2019 : une table sur Feng Shui 2 avec un scénario zombis et quelques parties rapides de D-Start (En territoire zombi) et Château Aventure (invité de marque : Charlie Adlard, illustrateur de The Walking Dead)
- 2022 : deux tables avec Les Terres d’Arran et Aquablue (invités du salon)
- 2023 : encore deux tables avec Les Terres d’Arran et du D-Start, accompagnés de petits jeux complémentaires (invités du salon)
D’autres salons, d’autres lieux…
Avec ce retour d’expérience, j’espère que je vous ai donné l’envie de tenter l’expérience de votre côté avec votre association pour aller faire jouer dans le festival de musique du coin, le salon geek généraliste ou encore la fête du livre annuelle… le jeu de rôle est un média culturel moderne et social. On peut le dire, les rôlistes sont enfin sortis de la cave !
Crédit photographiques : dans l’article, l’auteur, pour la photo de bannière, la photographie est issue du site officiel du Cabaret Vert