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Financements participatifs maison

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Le financement participatif a pris de plus en plus de place dans l’édition rôliste mais est-il possible de mettre soi-même en oeuvre cette étape ?

Le financement participatif a pris de plus en plus de place dans l’édition rôliste. Très rares sont les jeux qui sortent directement en boutique sans être passés préalablement par une phase de précommande auprès des joueurs. Si cette solution a permis à de nombreuses petites entités de se lancer, elle devient une solution prédominante même pour des éditeurs bien installés.

Concrètement, le financement participatif, c’est quoi ?

L’objectif est de permettre à un auteur ou un éditeur de lever les fonds nécessaires à l’élaboration du projet et souvent à l’impression d’une première série. Ne nous étonnons pas, les illustrateurs, relecteurs, maquettistes ou tout autre professionnel intervenant dans le projet ont un coût. Hors de l’impression à la demande, les coûts d’impressions sont liés à la taille des lots d’impression : plus on imprime, moins l’exemplaire coûte. Il n’y a donc aucun miracle, sortir un jeu au format papier qui va nécessiter une équipe qui va demander une avance financière importante que seule une précommande peut assurer. C’est donc l’objectif de ce financement participatif.

Dès lors, une question se pose : doit-on obligatoirement passer par une plateforme dédiée au financement participatif telle que Ulule, Kickstarter ou encore Kiss Kiss Bank Bank ? Globalement, ces plateformes proposent un ensemble de services qui vont au-delà de la simple boutique et de la précommande : l’affichage du projet parmi d’autres, des outils pour communiquer sur le financement, la gestion d’options… Mais d’autre part, elles ont un coût non négligeable (entre 5% et 10% du montant total du projet), elles ciblent un public précis (collectionneurs) et ne vous fourniront l’argent qu’une fois que l’objectif est atteint et que le financement a pris fin… en attendant, vous continuerez à faire avec rien.

Alors, pourquoi ne pas le faire soi-même ? A l’occasion du financement participatif du jeu de rôle Mausritter, j’ai échangé avec Alexis de Electric Goat, l’éditeur du jeu au sujet de cette démarche atypique pour le financement du jeu. En effet, si cette question me trotte dans la tête depuis le lancement du projet de Bubblegumshoe en VF, gérer soi-même son financement participatif peut-il être viable aujourd’hui ?

Mausritter

Mausritter est un jeu de rôle assez court qui puise son inspiration dans les Légendes de la Garde. Les joueurs y incarnent des souris partant à l’exploration du monde hostile qui les entoure. S’il existe déjà un très bon jeu de rôle officiel sur cette bande dessinée de David Peterson, Mausritter apporte quelques idées sympathiques en plus de sa grande accessibilité. En moins de 30 pages, il y a de quoi jouer rapidement une partie avec peu de préparation. Les règles sont simples, pratiques et légères, rendant ce jeu particulièrement intéressant pour faire découvrir le jeu de rôle à tout âge.

Mausritter, la version sous boîte

Entretien avec Alexis d’Electric Goat

Aux portes de l’imaginaire – merci Alexis de donner un peu de ton temps pour répondre à nos questions, tout d’abord, pour est-ce la première expérience d’un tel financement participatif ?

Alexis – Mausritter est le troisième jeu édité par Electric Goat, et tous sont passés par une forme de financement participatif ou précommande. Pour la traduction de Psi*Run, en 2015, nous étions passés par Ulule, puis pour Non merci l’an dernier, nous avions fait une précommande sur notre site.

Aux portes de l’imaginaire – pourquoi avoir choisi de réaliser ce financement hors des grandes plateformes habituelles ?

Alexis – Nous ne sommes pas distribués en boutique, donc nous avions dû développer une boutique en ligne. La boutique étant là, nous avions la possibilité de faire la précommande dessus. Reste à savoir si c’est une bonne idée.

Pour un minuscule éditeur comme Electric Goat, passer par une précommande est quasiment obligatoire : il ne s’agit pas tant de récupérer l’argent en avance, mais de savoir combien de gens sont intéressés, et de faire parler du projet. Pour Non merci, je pensais passer à nouveau par Ulule, et ce sont des raisons techniques qui m’ont convaincu de le faire « localement ». Par exemple, certains clients ont des bons de réduction, et je voulais qu’ils puissent les utiliser sur la précommande s’ils le voulaient.

Globalement, je dirais qu’on gagne un meilleur contrôle sur les options et le déroulé de la précommande (mise à dispo des PDF, etc.), au prix d’une petite perte de visibilité.

Aux portes de l’imaginaire – l’argument des grandes plateformes est la visibilité du projet, penses-tu que le projet aurait eu une meilleure visibilité sur ces plateformes ?

Alexis – Effectivement, même si dans le cas de Mausritter, le jeu a déjà ses fans, qui font un peu de communication pour moi (ce sont d’ailleurs eux qui m’ont contacté pour me proposer d’éditer la VF). Je perds potentiellement les gens qui n’auraient pas entendu parler de la précommande sur les médias rôlistes, mais qui l’auraient vue sur la plateforme.

Je pense quand même qu’il y a un risque, pour un petit éditeur, à se mêler aux gros projets. Electric Goat n’édite pas de gros jeux collectors, et ne lèvera pas de dizaines de milliers d’euros en quelques semaines. Il y a un risque qu’un projet qui serait un succès pour nous puisse sembler être un échec en comparaison de projets de plus gros éditeurs.

Aux portes de l’imaginaire – selon toi, quels sont les avantages à maîtriser sa propre plateforme de financement participatif ?

Alexis – En dehors d’économiser la marge de la plateforme (c’est négligeable), comme je le disais plus haut, un meilleur contrôle de chaque étape. Je suis sûr que les plateformes sont plus flexibles aujourd’hui, mais en 2015 sur Ulule, il fallait gérer les stretch goals à la main, et les utilisateurs n’avaient aucun moyen de choisir des options, il fallait qu’ils ajustent le montant puis leur faire remplir un questionnaire après le projet. Je suis sûr que Game On Tabletop fait ça bien mieux maintenant.

Je dois quand même préciser que j’ai des compétences de développement informatique, qui me permettent d’avoir beaucoup de contrôle sur le site d’Electric Goat. Si j’avais dû engager quelqu’un ou utiliser un outil existant, je n’aurais peut-être pas fait ce choix.

Aux portes de l’imaginaire – quels conseils donnerais-tu à un auteur ou un éditeur qui se lancerait dans une précommande participative hors des grandes plateformes ?

Alexis – À un auteur qui veut sortir ses livres, mais qui ne souhaite pas devenir éditeur (c’est à dire gérer toute la logistique de fabrication et de livraison), je ne conseillerais pas de faire de financement participatif, mais plutôt d’utiliser des services d’impression à la demande, comme Lulu.

On pourrait se dire que ce n’est pas incompatible, qu’on peut faire un financement participatif puis s’éditer sur Lulu, mais pour moi on a passé l’époque où le financement servait à payer l’écriture de textes. Les multiples retards et échecs font qu’aujourd’hui, un financement qui marche est un financement qui sert juste à payer les coûts de fabrication de produits déjà finis. (Hors gros éditeurs).

À un autre éditeur, je ne sais pas si j’ai des conseils à donner 😉 Je n’ai rien à reprocher à Ulule ou Game On Tabletop, et j’imagine que beaucoup d’éditeurs préfèrent passer du temps sur l’édition plutôt que de développer leur propre plateforme.

Petite pub pour d’autres : Dystopia a également fait le choix de lancer une souscription eux-mêmes, sur la même période, parce que les grands esprits se rencontrent. Ils utilisent une plateforme open-source.

Aux Portes de l’Imaginaire – merci beaucoup Alexis pour ces réponses !

En conclusion

Tout l’intérêt de mener son propre financement ou sa propre précommande est une maîtrise totale de ce financement et potentiellement l’élimination du risque lié à l’objectif de financement devenu « une norme ».

La question se pose, sur une grosse plateforme, est-ce qu’un petit projet ne risque pas d’entrer en concurrence avec de plus gros projet similaire ? Quelle sera alors la visibilité d’un jeu indépendant au milieu de plusieurs projets de gros éditeurs implantés ? Après, pour reprendre la conclusion d’Electric Goat, pour avoir cette maîtrise, il faut monter sa propre solution. Et ceci va prendre du temps, demander des compétences… qui d’un autre côté sont apportées directement par les solutions implantées telles que Game On Tabletop.