Sujet de philosophie par excellence, la compréhension et l’exercice de la foi au travers de la religion s’éloignent sensiblement des codes du jeu de rôle en cela que les joueurs ne cherchent pas forcément à appréhender le concept même de foi qui s’inscrit dans la création de certains personnages. Après tout, que le personnage ait ou non foi en quelque chose est son problème et non celui du joueur. À ceci près qu’il n’est pas rare que cette distance entre la réalité d’un personnage et l’interprétation d’un joueur soit bien supérieure à celle d’un fossé et que cela est susceptible de nuire à la restitution de l’ambiance recherchée. Cet article, jumelé avec ce qui en est son exemple dans le Temple de Lendraste, se propose, sans essayer de prendre position sur le côté fondé ou infondé des croyances, de détailler de quelle façon les dogmes et les pratiques religieuses peuvent offrir un cachet particulier au background de votre univers de jeu et de quelle manière on peut l’expliquer ou le montrer à ses joueurs.
État des lieux
Si la notion de foi est relativement transparente voire absente des concepts de jeux qui mettent en scène les différents aspects de la croyance et des religions, ces jeux sont légion. En matière de fiction, il est rare que l’univers d’un jeu se développe dans le plus parfait athéisme. Au mieux, certains jeux n’évoquent pas le concept de religion sous-jacent à l’univers qu’ils présentent, omettant simplement d’en parler. On distinguera donc assez aisément 3 cas de figures.
Jeux de rôle exploitant la foi
Ce sont peut-être les plus nombreux. Quels que soient les visages donnés aux différentes formes de croyances, ces jeux font parfois plus que leur donner une apparence ou une fonction sociale, ils lui donnent aussi un véritable pouvoir. Dès l’ancêtre, Donjons & Dragons, la notion de prêtre apparaît sous le nom de clerc et de pouvoirs cléricaux. Dans ce jeu, on évoque assez peu la vraie nature de ces capacités, si ce n’est qu’elles découlent de prières faites à une hypothétique divinité. Les extensions de ce jeu ont fini par donner corps à ces croyances sous la forme de religions polythéistes. Runequest propose un distinguo clair entre la magie dite « divine », la sorcellerie et la magie des esprits, expliquant d’où viennent les pouvoirs de chacun. Ces jeux n’évoquent cependant que la forme sans parler véritablement du fond. Ils n’expriment que la manière sans aborder l’art, car cet art, la pratique de la foi, est bien plus difficile à cerner.
Les jeux qui exploitent la foi dans leur contexte socio-culturel peuvent aussi avoir la même faiblesse. In Nomine Satanis / Magna Veritas propose un contexte dans lequel les fondements de la foi judéo-chrétienne (mais pas que) sont admis pour vrais et où les joueurs se positionnent sur les deux facettes d’un échiquier cosmique, sous la forme de démons ou d’anges incarnés, pour servir les desseins de Lucifer ou Dieu. Le concept de foi est ici une arme chiffrée. Il n’est pas demandé au personnages de croire en l’existence ou aux pouvoirs de leurs « supérieurs » (les Princes-Démons et les Archanges, voire leur boss respectif), attendu qu’ils font partie intégrante de leur univers. Ce qui est une croyances pour les mortels est un fait pour les personnages. Avec un ton plus sérieux, cette thématique fait également partie de la cosmogonie du Monde des Ténèbres, où le mythe de la création des Vampires est intrinsèquement lié aux visions de l’Ancien et du Nouveau Testament, où il ne fait aucun doute que les Vampires sont des damnés contre lesquels la « foi véritable » est une arme redoutable. Mais là encore, la foi n’est qu’une arme réduite à un chiffre. On aura le même sentiment avec l’univers de Star Wars dans ses différentes moutures où les tenant de la Force ont cette relation et ce comportement mystique que les croyants ont envers un dieu, pourtant l’on ne fait guère que décliner le positionnement moral et les pouvoirs que procurent cette relation sans vraiment considérer la croyance.
Quant aux jeux dont la foi est le cœur même du background, comme par exemple Kult, il ne s’agit pas ici de découvrir une source de pouvoir, mais la vérité sur qui entoure les joueurs, ce qui aura en définitive pour conséquence d’accorder du pouvoir, avec un effet de plus en plus aliénant. Un concept intéressant mais qui n’évoque pas la teneur de la croyance en elle-même et qui est rapidement démystifiée par la connaissance acquise sur le métaplot du jeu en ce sens que la vérité a cette fâcheuse tendance à détruire la croyance (sujet de philo, vous avez 4h).
Jeux de rôle ignorant la foi
Plus rarement mais pas tellement moins que dans la première catégorie, l’on évite de parler de croyances et de foi dans un jeu, n’y accordant aucune importance pour garantir l’ambiance recherchée. C’est le cas de James Bond 007, un jeu où l’on incarne des agents du MI6 effectuant des missions dignes du plus célèbre des agents secrets (ces mots ne vont pas ensemble, hein ? 🙂 ). Certes, nous sommes sur une Terre contemporaine, le terreau de milliers de cultures et croyances différentes et même parfois incompatibles. Mais à aucun moment l’on évoque la religion autrement que comme un élément négligeable du décors. Il en va de même pour Thoan (le jeu inspiré d’un univers de Philip José Farmer), qui ne fait qu’évoquer les légendaires Homme-Dieux comme des mythes ou des êtres technologiquement avancés sans vraiment s’appesantir sur l’éventuelle dimension religieuse des cultures vivants dans les mondes artificiels des Thoans.
L’on fera de même avec des jeux fun ancrés dans le contemporain, comme Raoul ou Leverage dans lesquels on sait que le monde de jeu, puisqu’il s’appuie sur le monde réel, est emprunt de mysticisme, mais que l’expression de celui-ci n’a aucune espèce d’importance, ni ne constitue un élément de gameplay en aucune manière.
Jeux de rôle excluant la foi
Quels jeux excluent délibérément toute forme de croyance, toute expression de la foi, tout dogme, tout mythe ? Je ne le sais pas. À vrai dire, je pense qu’une telle catégorie de jeu n’a aucune raison de ne pas exister, même si je n’ai aucun exemple 100% valable pour illustrer mon propos. Je peux néanmoins citer quelques jeux qui pourraient concorder avec cette catégorie sans nécessairement en être l’exemple parfait et il a fallu s’y mettre à plusieurs pour les trouver (merci à la communauté des rôlistes sur Facebook).
On commencera par Toons. Ce jeu pose un concept qui n’inclut pas l’idée des religions. Mais en tant que vision déformée de notre réalité, la diégèse de Toons peut parfaitement inclure des éléments liées aux croyances. Un exemple loin d’être idéal.
On peut continuer par La Couvée. Même si le contexte proposé pour incarner des monstres insectoïdes mutants fonctionnant en ruche peut placer les dites créatures dans un monde rempli de croyances, le jeu se concentre essentiellement sur les aspects mécaniques de la ruche et de ses membres, loin de l’intelligence et des perceptions humaines.
Enfin je terminerai par la Légende de la Garde qui propose d’incarner des souris anthropomorphes dans un contexte où il n’y a aucune religion. On peut cependant arguer que la part d’inconnu dans cet univers de jeu peut donner lieue à des interprétations de jeu qui évoqueront peu ou prou certaines formes de croyances, ce qui fait que ce jeu n’est pas spécialement conçu pour exclure l’idée de foi.
Naissance de la foi
Le plus simple pour comprendre la teneur de la foi est de remonter aux sources. Notre histoire vue à posteriori comporte des exemples frappant de croyances ayant mené l’humanité entière vers des voies inattendues alors même qu’on les sait imprécises voire complètement fausses avec le temps.
De la croyance au mythe
« Any suffisiently advanced technology is indistinguishable from magic » – « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie » – Arthur C. Clarke
Citée comme l’une des « 3 lois de Clarke« , cette assertion expose l’idée que ce qui est magique est le résultat d’une technologie que l’on a pas encore découvert. J’utiliserai même le mot « phénomène » en lieu et place de « technologie » pour étayer mon propos. Les premiers hommes de notre planète considéraient certains aspect de la planète Terre comme magique, qu’il s’agisse du soleil ou de la lune ou de n’importe quel autre astre, ou des phénomènes météorologiques pour lesquels ils avaient une crainte respectueuse, ou encore des mystères entourant la mort.
Je ne vais pas décrire à nouveau ici le processus de naissance des mythes et légendes que j’ai déjà longuement évoqué dans un autre article. En résumé, il faut garder à l’esprit que l’homme est en quête de compréhension, de savoir et que ce qu’il ne peut expliquer forme l’essence du mythe. L’humain est obligé de croire qu’une chose existe pour admettre son existence. Il fut donc obligé de croire que le soleil était une force surnaturelle pour admettre tout ce que le soleil fait et qu’il ne pouvait expliquer. Il est obligé de croire qu’il y a quelque chose après la mort pour donner du sens à celle-ci. A partir de là, les hommes se divisent en deux catégories : ceux qui admettent la nature extraordinaire du phénomène sans le remettre en question et ceux qui cherchent la vérité « scientifique » du phénomène.
À la base, rien ne les distingue. Tant que la vérité scientifique n’est pas mise en évidence, l’explication plausible d’un phénomène est une invention, une hypothèse. À ce stade, il est tout aussi plausible que le soleil soit un astre lointain autour duquel notre monde décrit une révolution en tournant également sur lui-même, que le fait qu’il soit le char lumineux d’un dieu qui traverse la voûte céleste chaque jour. Si l’une de ces hypothèses a une chance de devenir une vérité scientifique, l’autre demeurera éternellement une invention, un mythe.
Du mythe au dogme
Un mythe n’est jamais qu’une bonne histoire à raconter. Il existe en l’humain une différence concrète entre la conviction et le doute. Toutefois, jusqu’à un certain point, les deux peuvent coexister sur un même sujet. On peut être intimement convaincu de la véracité d’une chose et nourrir un doute raisonnable sur sa réalité. C’est ainsi à chaque fois que l’on sait quelque chose mais que nous n’en avons pas la preuve par nous-même. Il convient de reconnaître que si la plupart des gens savent que la Terre est sphérique (et ce même s’il existe des tenants de la Terre plate), l’immense majorité n’en a pas la preuve concrète. Et tant qu’une certitude absolue n’est pas acquise, le doute persiste. Il n’est pas prétendu ici que la Terre est possiblement non sphérique, mais que sans constat indubitable fait par nous-même, nous avons le droit d’en douter.
Si l’on se place dans le contexte d’un mythe qui, par nature, ne peut pas être considéré comme une vérité, toute interprétation que l’on en fait est sujette à caution, même l’hypothèse scientifique. Lorsqu’une interprétation est considérée comme hautement plausible et que les doutes à son sujet sont abolis, alors le mythe devient une référence sur laquelle s’appuieront certains pour instruire et légiférer. Ainsi le mythe devient un dogme, une vérité incontournable et, par voie de conséquence, difficile à contredire sans s’opposer à ses défenseurs.
Du dogme à la religion
Le dogme n’est rien de plus qu’un postulat, une vérité énoncée et largement admise qui n’a de fondement que la croyance de ceux qui la véhiculent. Et le dogme a horreur par dessus tout d’être contredit. Dans le fond il n’existe que deux façons d’affirmer un peu plus le dogme. La première consiste à informer et convaincre, la seconde consiste à nier et démolir toute affirmation contraire. Le dogme porte en lui l’essence de sa fonction, ceux qui le respectent savent donc généralement ce qu’il convient d’en faire. Le répandre n’est pas systématique sauf s’il est dit dans le dogme lui-même que le dogme doit être porté à la connaissance de tous pour le bien du plus grand nombre.
Quelle que soit la « volonté » du dogme, il rassemble et fédère les personnes qui s’y réfèrent. Les peuples ainsi réunis derrière une même idéologie mystique ont le plus souvent besoin de structurer cette communauté. Cette structure n’est rien de plus qu’une administration de la pensée, une sorte de gouvernement des idéaux qui n’a d’autres but que de préserver le dogme et d’en accomplir les objectifs. Ainsi se forme la religion, une mouvance structurée autour d’un ensemble de valeurs et d’idées dogmatiques. Notons au passage que cette évolution n’est pas systématique. Une croyance peut s’ancrer durablement dans une culture sans jamais constituer de mouvements religieux.
De la religion au culte
La transition suivante est généralement courte. La religion en tant que mouvement idéologique véhiculé par une communauté de personnes n’a guère de sens si elle n’est cadrée par un ensemble d’actes et de lois qui permettent son existence, sa préservation, son maintien et son évolution. Son existence peut n’avoir aucune incidence si le dogme n’exige en aucune façon d’adopter un comportement spécifique autre que le respect dû à lui-même. Ce respect n’a besoin que de la discrétion et de l’approbation personnelle de chaque « adhérent ». Toute pratique religieuse n’est toutefois pas aussi intériorisée et d’autres ont besoin d’un cadre d’expression.
Ce cadre prend la forme d’un ensemble d’us et coutumes qui vont s’ancrer dans la vie des personnes. Elles vont mener leur existence autour de ces pratiques, souvent récurrente, qui vont donc rythmer leur existence et influencer leur choix moraux, politiques et sociaux. La société dans son ensemble sera bouleversée et sera d’autant plus disparate ou désunie qu’il y a de religions susceptible de les concerner. Tout le monde n’adhère pas à un dogme et ce à quoi il a donné naissance : ces gens-là considèrent donc la religion d’un œil extérieur et définissent une frontière entre ce qui les concerne et/ou les séduit, et ce que font les autres, ceux qui « pratiquent » la religion. Se dessinent ainsi les contours du culte.
Du culte à la culture
Les pratiques religieuses et tout ce qui contribue à l’essor d’une religion exercent sur l’ensemble d’une population une influence indéniable. Les cultes qui traversent les âges s’inscrivent peu ou prou dans l’Histoire d’une communauté, d’un peuple et d’une nation à un point tel qu’il est extrêmement difficile de s’en affranchir. Nos pays européens et ceux du Nouveau Monde héritent de traditions nées de l’Eglise Catholique. Peu de choses sont aujourd’hui discernables de ce qui a été institué par la Religion Catholique, notamment en ce qui concerne les rites funéraires ou les mariages. Cet exemple met en évidence qu’une société suffisamment évoluée et forgée en grande partie par des pratiques religieuses séculaires est le reflet historique, social et politique de ses religions.
On ne compte plus le nombre d’artistes et d’œuvres qui ont traversé le temps pour inscrire à la postérité les gloires légendaires des récits mythologiques. Ne serait-ce que les temples (dans sa définition la plus large, cela incluant des temples spécifiques aux religions les plus répandues comme les Cathédrales, les Mosquées ou les Synagogues), des constructions bâties pour durer des siècles, ou les sculptures, habillant les temples susmentionnés ou témoignant de l’histoire dans nos musées. Que dire des peintures qui ornent tant les murs de ces antiques bâtisses que des toiles inspirées et inspirantes qui décorent les châteaux et les musées, encore une fois, ou se cachent dans des collections privées, dont les thématiques ne laissent aucun doute quant à leur dévote essence ?
Il serait juste de dire que les différents cultes, outre la trace indélébile qu’ils laissent dans le passé d’un peuple, ont érigé en grande partie sa culture. Là encore je ne m’étendrais pas sur la méthode pour construire une culture imaginaire qui vous est proposée dans cet autre article.
Et la foi dans tout ça ?
Parler de mythes, de croyances et de cultes sans évoquer la foi peut sembler une gageure. Pourtant, tout ce qui vient d’être évoqué n’est jamais qu’une construction théorique de ce qui conduit à la création des religions. Peuvent-elles exister sans foi ? Non. Mais chaque religieux est-il un être de foi ? Non plus. En fait, on peut très bien adhérer à une philosophie, une idéologie ou une religion, sans jamais y croire en tant que vérité. On peut mener une existence entière à suivre des principes et des règles édictées par la société, voire par une religion, donc inspiré par un dogme impossible à admettre. On peut faire cela si ces règles et ces principes correspondent peu ou prou à ce qui nous sied, ou par simple obligation morale ou parentale, mais rien de tout cela n’exige une quelconque foi.
Avoir la foi, dans le contexte, implique de n’avoir aucun doute, même raisonnable, envers une croyance. Cette foi sera la principale motivation d’une ou plusieurs personnes pour fonder un mouvement et tout ce qui s’ensuit. Il ne peut donc y avoir de religion sans foi fondatrice, mais une religion peut parfaitement exister par elle-même après avoir été créée, sans foi pour la soutenir. À terme, il faut donc bien voir la pratique d’une religion comme une tradition ancrée dans la culture d’une communauté à un stade où la foi ou l’absence de foi est pratiquement sans effet. Cependant l’expression de la foi véritable sera indispensable à la préservation du culte, car seuls les croyants les plus endurcis verront un intérêt à sacrifier de leur temps, de leur efforts, voire leur vie, à l’évolution de leur religion.
La foi dans les univers fantastique et de fantasy
Il n’est pas rare d’associer la foi à l’obtention de pouvoirs spéciaux dans les univers fantastiques et de fantasy. Cette manière de se représenter la magie qui, en fonction du contexte, peut porter différents noms, est largement inspirée de la littérature et du cinéma. Bien que l’on ait tendance à voir toute forme de magie associée à la foi sous l’apparence de miracles bibliques, celle-ci présente différents visages en fonction de la croyance.
A Donjons & Dragons les Druides, les Paladins et les Prêtres sont différents pratiquant de magie divine. Selon l’univers de jeu, les Druides seront tantôt au service d’un dieu, tantôt au service d’esprits naturels, tantôt à celui d’une sorte de déesse primitive de la nature. Les Paladins pourront servir aussi bien un dieu qu’un simple idéal philosophique. Les Prêtres pourront suivre un dieu unique et invisible ou une déité d’un panthéon varié aux courants de pensées très différents les uns des autres. A Runequest, les pratiquants de magie divine ont accès à la magie la plus puissante du jeu, mais aussi la plus contraignante. Beaucoup plus proche de la vision biblique dans ses effets et bien plus coûteuse à acquérir avec les mécanismes proposée par le jeu. Du reste, le Monde de Glorantha, proposé avec Runequest, développe une pléthore de religions différentes dont chacune à ses propres particularités vis-à-vis de la dévotion.
Dans les Jeunes Royaumes, le jeu Stormbringer explore deux aspects de la magie, l’une étant la sorcellerie et permettant d’invoquer directement les dieux. Il n’est question ici d’aucune dévotion en particulier, les dieux sont invoqués dans le but de leur arracher un service en échange d’un autre ou d’un sacrifice. Même si l’on peut raisonnablement supposer qu’être un fidèle de ces dieux ne peut que susciter leur sympathie, il y a un véritable rapport de force entre mortels et dieux. Toutefois, dès lors que les dieux accèdent à la requête, ce qu’ils font est d’essence divine et peut remettre en question beaucoup de choses. Le second aspect de la magie est la dévotion et cela se développe par la religion et la pratique d’un culte. Il est question ici de mesurer le niveau de dévotion du prêtre pour savoir s’il est en mesure d’invoquer l’aide de son dieu. En aucun cas cela ne peut être utilisé à tort et à travers, chaque demande d’intervention consommant ce niveau de confiance durement construit par la pratique religieuse et la dévotion à la cause de la divinité. En revanche, contrairement aux tractations directes permises par la sorcellerie dont les résultats peuvent être hasardeux, implorer avec succès l’intervention d’un dieu produit toujours exactement le résultat souhaité.
A Vampire (et plus particulièrement dans une de ses extensions), la Foi Véritable est une arme redoutable utilisée contre les vampires, mais également pour accomplir des miracles. Nous nous retrouvons là avec une interprétation beaucoup plus biblique et raccord avec le concept même du Monde des Ténèbres qui admet presque au sens littéral la plupart des événements bibliques.
A In Nomine Satanis / Magna Veritas, que l’on joue un Démon incarné ou un Ange incarné, les capacités dont ces créatures se parent sont exclusivement liées à leur nature. La foi est ici très secondaire. Les Anges et les Démons sont des soldats, chacun sous les ordres d’un Archange ou d’un Prince-Démon qui sert une certaine idéologie du bien ou du mal. Il n’en reste pas moins que le système déclenche une réponse particulière sur les scores de 111 et 666 au dé, créant une sorte d’intervention divine ou satanique qui va singulièrement changer la donne.
Religion = pouvoir ?
Nous pourrions égrener ainsi nombre de jeux qui considèrent plus ou moins directement la foi comme une arme concrète au travers de la magie. Mais entendons nous bien, il s’agit ici principalement de foi et non spécialement de religion. Même si des jeux comme D&D propose un cadre succinct expliquant dans quelle mesure un prêtre obtient (et conserve) des pouvoirs par la pratique d’une religion, la foi reste le moteur essentiel de ces capacités. Les premières versions du jeu (AD&D, Guide du Maître) laissent même entendre que les pouvoirs de bas niveaux accordés aux clercs viennent avant tout d’eux-mêmes et non directement de la puissance supérieure qu’ils révèrent. Les diverses extensions de AD&D et les versions suivantes proposent toutefois d’observer un background strict pour tous les jeteurs de sorts divins, leur imposants des actions et des devoirs précisant l’exercice de leur foi. Les conséquences en cas de manquement sont sans appel : perte définitive ou temporaire des pouvoirs.
Cette approche est encore plus évidente dans Stormbringer où un être incapable d’apprendre la sorcellerie peut malgré tout acquérir le niveau de dévotion requis pour implorer l’intervention de son dieu. Il est d’ailleurs clairement précisé qu’obtenir un score en « Élan » (la mesure de la dévotion) n’est possible que si le personnage se consacre pleinement au culte d’un et d’un seul dieu. C’est un processus long de jeu dans lequel le passage des années de dévotions et les actes les plus spectaculaires sont ce qui rapporte le plus de points. Inutile de préciser à quel point perdre de cet Élan pour une broutille n’est qu’un vaste gaspillage.
S’il existe d’autres jeux où la dimension roleplay d’une pratique religieuse a un impact sur les capacités que cela procure, il reste que cela n’est souvent qu’une pure question de forme. Le système de jeu, le MJ et même le joueur ne sont pas forcément au fait de ce qu’implique « avoir la foi », ce qui, dans le contexte d’un jeu de rôle, n’est qu’une suite de mots servie par des actes plus ou moins raccord avec la religion mise en avant. On peut toutefois mettre en évidence, car cela semble tomber sous le sens, que si l’obtention d’un pouvoir est liée à la pratique de la religion, celle-ci est alors d’une certaine importance dans le monde de jeu.
Du reste, l’on ne considère là que le pouvoir surnaturel qui émane de ces concepts sans vraiment considérer le pouvoir et l’influence social, politique et culturel que les religions peuvent faire acquérir à leurs meneurs. Autrement dit, ce qu’on a évoqué précédemment sur la manière dont se forge les religions n’est pas juste pour faire joli, mais peut avoir un sens profond dans la narration et sur les personnages de la diégèse. L’importance de comprendre la teneur de la vraie dévotion est alors le meilleur moyen de mesurer et de qualifier le comportement d’un individu, d’une société ou d’une culture dans la diégèse.
Comment s’en servir dans un univers de jeu ?
En guise de conclusion de cette première partie, je laisse une question ouverte. Des jeux de rôle impliquent la foi et les devoirs des hommes de foi au sein même de leur système pour accorder crédit et pouvoir à leurs tenants. Certains de ces jeux poussent jusqu’à détailler diverses croyances dans leur univers. Peu d’entre eux s’attachent à retranscrire l’impact émotionnel et spirituel de celles-ci. Si vous tentiez vous-même de créer un univers imaginaire où la croyance religieuse aurait une grande importance et si vous aviez la volonté de rendre compte de cette importance à des tiers, il vous faudrait considérer certains aspects. C’est ce qui vous est proposé dans la seconde partie de ce sujet.
Références
- Règles Avancées officielles de Donjons & Dragons, Guide du Maître, de Gary Gygax, édition française, TSR, 1984
- Runequest, de Greg Stafford, édition française basée sur la 3ième édition, Oriflam, 1987
- Stormbringer, livre de magie, de Ken St André et Steve Perrin, édition française, Oriflam, 1981
- Kult, de Gunilla Johnsson, Michael Petersen et Magnus Seter, édition française, Ludis International, 1993
- Vampire : la mascarade, édition française basée sur la 3ième édition, Hexagonal, 1999
- In Nomine Satanis / Magna Veritas, de Croc, Siroz Productions, 1990
- Thoan, de Léonidas et Orso Vesperini, Jeux Descartes, 1995
- James Bond 007, édition française, Jeux Descartes, 1988
- Kit d’initiation de La Couvée, de Quentin Forestier, auto-édition, 2017
- Le GROG et Wikipédia pour tout ce qui concerne les jeux non directement référencés.
- Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales pour les définitions
- Wikipédia pour les développements
Illulstration : extrait de Elric, le trône de rubis par Julien Blondel, Didier Poli, Robin Recht, d’après l’oeuvre de Michael Moorcock aux éditions Glénat (2013)