Véritable révolution à l’époque de la sortie du film Robocop (Paul Verhoeven – 1987), cet univers hi-tech et dystopique a inspiré de nombreux auteurs de jeux de rôles comme Mike Pondsmith avec son célèbre Cyperpunk 2020 (sortie en 1988 chez R. Talsorian Game) qui laissera une marque indélébile sur le thème. Par la suite, que ce soit Cyberage (Simulacres – 1990) ou encore The Cyberpapacy (Torg, la même année), deux concepts clés sont restés très inspiré du jeu de Pondsmith, que ce soit d’un point de vue de la description ou des règles, soit la matrice (le réseau divin dans le cas de la Cyberpapauté) ou la cybernétique.
Le temps a évolué, la technologie aussi, et alors que nous rêvions à la fin des dans les années 80 à la possibilité d’enregistrer sur une micro-VHS tout ce qu’un cyborg verrait avec son œil cybernétique, la réalité a largement dépassé les rêves des auteurs d’anticipation: avec une imprimante 3D, il est possible d’imprimer une main de remplacement, de récolter et d’analyser en temps réel des informations sur notre état de santé à l’aide d’une montre et même de voir à l’aide d’une caméra numérique connectée au nerf optique.
Mad machines
Le concept commun à la majorité des jeux de rôle sur le thème cyberpunk est la cyberpsychose. L’abus d’implants cybernétiques déshumanise, transformant l’être humain en un cyborg sans émotions et violent. Dans le jeu de rôles Cyberpunk 2020, cybernétique et humanité sont deux notions qui s’opposent : l’humanité est déterminée à l’aide de l’empathie du personnage qui représente sa capacité à tisser des liens sociaux et à comprendre les réactions humaines. Plus le personnage s’implante de cybernétique, plus son humanité et son empathie va baisser. A moins de 10 en humanité, le cyborg sombre dans la cyberpsychose devient une machine à tuer incontrôlable…
Si je réfléchis à cette question deux secondes cela signifie donc que, si je veux faire le power-player, je vais créer un solo avec 10 en empathie pour avoir 100 en humanité. Je vais pouvoir le bourrer de cybernétique jusqu’à plus soif sans risquer la cyberpsychose… donc, si je décide de créer un personnage qui sera le fils improbable de Robocop et de Terminator, il faut qu’à la base il soit un hippie qui refuse d’écraser une mouche… normal quoi…
A l’opposé, un gamin de 10 ans né sans bras perdra toute humanité le jour où deux bras cybernétiques lui seront transplantés… et deviendra suite à ça un monstre psychotique froid et cynique.
Bref, dans les années 90, les auteurs n’avaient peut-être pas le recul que nous avons maintenant sur la question de la cybernétique. Bref, la cyberpsychose, c’était cool dans quand on était ados et qu’on jouait à cyberpunk en écoutant Shock To The System de Billy Idol (titre de l’album Cyberpunk sorti en 1993).
Une limitation technique
La cyberpsychose est une limitation technique permettant de limiter le recours à la cybernétique pour booster un personnage. Avec le recul moderne, il y aurait deux façons de voir une alternative à cette folie meurtrière souvent décrite dans les jeux.
Le personnage pourrait simplement se déshumaniser. C’est déjà en grande partie se que décrit l’état de cyberpsychose, mais il n’est pas nécessaire que les crises se manifestent par une rage meurtrière incontrôlable. De même, les effets pourraient très vite se faire sentir : perte du sens commun, incompréhension, manque d’intérêt pour des choses communes, voir à l’opposer, le cyborg pourrait s’attacher à des petits rituels qui lui paraîtraient essentiels pour garder son humanité. Dans ce cas, il faut imposer une difficulté supplémentaire sur toutes les interactions sociales, le personnage est étrange, inadapté à son monde, …
Autre limitation qui pourrait être intéressante, dans un monde ultra-connecté, c’est que toutes ces implants communiquent. Quelles informations partent ? Qui y accèdent ? Quelle pourrait être la finalité de l’analyse de toutes ces données ? Est-ce que finalement le cyborg est le seul a recevoir les images de ses cyberoptiques ? Bref, la cybernétique n’est pas sûre : des portes dérobées se trouvent dans tous les systèmes, même dans les implants les plus simples. Depuis les implants officielles développées par les mega-corporations bourrées de verrous, de codes chiffrés et de brevets logiciels aux implants du marché noir dont la fiabilité peut être mise en cause, il est très difficile d’avoir une confiance aveugle dans son équipement cybernétique. Qui a réellement le contrôle ? Sur ce thème, je vous conseille vivement le dernier Robocop (2013) où lors des combats un programme tactique prend le pas sur Alex Murphy qui n’est plus qu’un spectateur aux premières loges persuadé d’avoir le contrôle.
Real humans
La cybernétique est devenu une réalité ces dernières années, depuis les prothèses d’Oscar Pistorius lui permettant de participer à des championnats de courses alors qu’il est amputé des deux jambes jusqu’aux derniers progrès de prothèses pilotées du DARPA., ces implants qui couvraient les pages d’équipements des jeux cyberpunks existent en vrai et fonctionnent.
Certes, Oscar Pistorius a été accusé du meurtre de sa compagne, on ne peut pas vraiment parlé d’une crise de cyberpsychose puisque ses implants sont de simples lames de ressorts et elles ne peuvent avoir aucune influence sur son esprit et son psyché… bref, la réalité bat à plate couture la fiction ! Oui, la cyberpsychose est due à la perte d’humanité qui est la conséquence de la connexion entre le système nerveux et la machine…
Au second plan, de nombreuses implants cybernétiques proposées dans les jeux permettent de développer de nouvelles capacités ou de nouveaux sens. Le rêve de rendre la vue à un aveugle commence à devenir réalité, et des membres de groupuscules transhumains commencent à se greffer tout et n’importe : comme par exemple des Bio-Hackers qui jouent avec des aimants greffés sous la peau, ou qui s’injectent dans le cristallin un produit pour leur permettre de voir dans le noir… Kevin Warwick est allé jusqu’à connecter son système nerveux à un microprocesseur dans le but de communiquer à distance.
Pourtant, avec l’œil cybernétique, nous restons sur un sens humain, Chris Dancy, considéré comme étant l’homme le plus connecté de la planète, quant à lui enregistre les informations collectées par des centaines de capteurs braqués sur son environnement immédiat et son corps (thermomètres, tensiomètre, podomètre, caméra, …). Les données sont ensuite analysées par différents outils et comparées à ses activités. Cette analyse permanente de son environnement lui a permis d’améliorer grandement son quotidien, comme par exemple, en lui permettant de perdre 45 kilogrammes sur une année simplement en respectant au mieux ses besoins nutritifs. Le biomoniteur de Cyberpunk 2020 passe pour une antiquité digne de la machine à écrire aux côtés des outils modernes !
Bon, des photos et du texte, c’est bien… mais en vrai quand ça bouge, ça donne ça…
Transhumanisme, post-humanisme
Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques, ainsi que les croyances spirituelles afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. Dans cette optique, les penseurs transhumanistes comptent sur les biotechnologies et sur d’autres techniques émergentes. Les dangers comme les avantages que présentent de telles évolutions préoccupent aussi le mouvement transhumaniste.
Le post-humanisme est un courant de pensée né à la fin du XXe siècle, qui traite du rapport de l’humain aux technologies (biotechnologies incluses) et du changement radical et inéluctable que cette relation a provoqué ou risque de provoquer dans l’avenir.
More human than human
Ok, je veux bien admettre, le cyberpunk, c’est une dystopie, c’est noir, c’est sombre, c’est malsain et cruel… soit. Mais bon, comment peut-on aujourd’hui décrire un monde d’anticipation moins technologique que notre monde réel ? Pourquoi ajoute-t-on des implants cybernétiques à son personnages ? la raison technique est simple : le cyber est plus fort que la chair… je veux que mon personnage soit capable de résister à une balle, qui puisse être un super-guerrier… oui, soit… ça pareil, c’était rigolo quand j’étais ados.
L’origine d’une chirurgie cybernétique, qui est une chirurgie qui peut aller du plus anodin au plus lourd, peut avoir deux raisons :
- soit pour remplacer un membre ou une organe défaillante : malformation congénitale, accident, maladie dégénérative… nous sommes ici sur de la cybernétique de réparation.
- soit pour améliorer ses capacités humaines et aller au delà des normes : courir plus vite, respirer sous l’eau, s’interfacer avec un ordinateur, … nous sommes ici sur de la cybernétique d’augmentation.
Voici une séquence diffusée sur France Culture sur la réparation et l’augmentation.
Cybernétique de réparation
Contrer un handicap par la cybernétique ne devrait pas être pénalisé par une perte d’humanité. Est-ce qu’on perd de l’humanité avec une paire de lunettes ? D’accord, la chirurgie est lourde, le système nerveux va être relié à une unité de traitement numérique… est-ce qu’un homme qui dispose d’un peacemaker peut être considéré comme étant un cyborg ? La cybernétique de réparation permet uniquement de rendre une fonction à une personne attente d’un handicap pour lui permettre de faire au moins comme tous les autres. Et toute la difficulté est là, permettre rendre ni plus ni moins que la fonction initiale est très complexe, voire impossible, d’homme « diminué », il est très facile de passer au stade d’homme augmenté.
L’homme augmenté
A l’opposé, la cybernétique apporte un avantage incroyable sur la chaire vivante. Sans aller bien loin, Pistorius est capable d’atteindre presque 15 m/s en fin de course. Un membre cybernétique est insensible, il ne se fatigue pas, il est précis… la tentation peut être grande de basculer dans le souhait de remplacer un membre de chair par un membre cybernétique. Dans ce cas, précédemment à une intervention chirurgicale très lourde, il faut amputer volontairement des organes en parfait état.
Au delà, d’un simple membre de remplacement, de nouveaux sens peuvent être développés par la cybernétique : s’interfacer avec un véhicule pour le commander permet de voir par ses caméras, ses capteurs comme s’ils étaient son propre système de vision, de tourner les roues comme on ferait un simple geste. L’intérêt réduire le temps de réponse du corps humain, plus besoin de cliquer sur une souris alors qu’il est simplement possible d’agir directement par la pensée.
Le remplacement volontaire et inutile d’un membre totalement fonctionnel devrait entraîner des séquelles psychologiques très importantes, par exemple le personnage perd son sens du toucher ou le ressent différemment ce qui entraîne une gêne constante. Pensez aux rejets et aux impressions relatées des personnes transplantées du cœurs qui décrivent parfois l’impression de ne pas se sentir eux mêmes. Pensez aussi aux phénomènes de membres fantômes.
Illustration : (c) Eidos Interactive, extrait du jeu vidéo Deus Ex – Human Revolution